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jeudi 17 mars 2016

Hamady Lehbouss, conseiller du président d’IRA, dans une interview exclusive : ‘’Malgré la séquestration honteuse et arbitraire de nos dirigeants, nous continuons à poursuivre nos objectifs, à lutter contre l’esclavage sous toutes ses formes’’



Le Calame : Votre organisation connaît, depuis quelques temps, une forte crise dont le départ de Saad ould Louleïd serait une des principales manifestations. Qu’est-ce qui a pu réellement motiver ce divorce et quelles en sont les motifs ?

Hamady Lehbouss : Une forte crise ? Je n’ai pas la même appréciation que vous. IRA-Mauritanie est une organisation bâtie sur des principes conformes aux valeurs universelles de droit et de justice, garantes de la dignité humaine. Notre ex-camarade auquel vous faites allusion tenait, depuis quelques temps, un discours contraire à ces valeurs. Ayant ainsi rompu notre serment, il ne pouvait plus faire partie de notre organisation. C’est aussi simple que cela. Il a été exclu selon les règles prévues par notre règlement intérieur.
  
- Dans ses dernières interventions, Saad a accusé le président Biram d’utiliser IRA pour des ambitions personnelles. Que répondez-vous à ces graves accusations ?
- Très vieille antienne qui nous a été servie un grand nombre de fois. D’autres avant lui ont essayé de nuire à IRA-Mauritanie, en s’attaquant au président Biram Dah Abeid : vous êtes témoins, comme tous les observateurs, de leur échec lamentable. Notre organisation a un mode de fonctionnement démocratique, ses instances nationales et locales, à l’intérieur du pays comme à l’étranger, fonctionnent efficacement. Nous réussissons à abattre, sans aucune subvention, un travail colossal que des formations politiques ou de la société civile dotées d’importants moyens ne peuvent réaliser. Notre démocratie en interne est la base de notre réussite.
       
- Après seize mois d’emprisonnement de ses deux premiers responsables (Biram Dah Abeid et Brahim Bilal Ramdhan), comment fonctionne l’organisation ?

- Comme vous avez pu le constater sur le terrain, nous nous portons bien. Malgré la séquestration honteuse et arbitraire de nos dirigeants, nous continuons à poursuivre nos objectifs, à lutter contre l’esclavage sous toutes ses formes, à exiger que la terre soit octroyée à ceux qui l’ont toujours cultivée. Nous avons un Bureau Exécutif (BE), formé de secrétariats nationaux qui exécutent notre programme d’activités, conformément à nos orientations et notre objectif de déconstruire le système de domination, basé sur le privilège de naissance en vigueur en Mauritanie. La coordination de Nouakchott, à l’image de celles des régions de l’intérieur, supervise les activités des sections dont les résultats sont bien visibles. Toutes nos structures fonctionnent correctement, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Non seulement, nous comptons, aujourd’hui, beaucoup plus de militants et de sympathisants qu’il y a seize mois, mais nos soutiens à l’étranger vont, aussi, en croissant, en nombre et en qualité. Loin d’avoir décapité IRA ou de l’avoir réduite au silence, l’épreuve qu’impose le régime à nos dirigeants ne fait que nous renforcer, en démontrant que les militants de notre organisation, notamment ses plus hauts dirigeants, sont prêts au sacrifice de leur liberté et de leur quiétude, pour atteindre leurs objectifs. C’est assez rare, dans le paysage politique mauritanien, pour être souligné.
  
- Le prix Tulipe que votre organisation vient de remporter est doté de 100.000 euros. L’organisation reçoit aussi beaucoup de subventions et de dons. Comment gérez-vous ce pactole ?

- Nous n’avons jamais eu de pactole à gérer. Nous n’avons jamais été subventionnés, les dons que nous recevons sont ceux des militants et de sympathisants, ils sont maigres. Toutes ces semaines, quand nous avons des militants blessés, pendant les marches hebdomadaires de protestation que nous organisons contre la poursuite de la détention de nos leaders, nous avons du mal à réunir les quelques sous nécessaires pour leur prise en charge médicale aux urgences de l’Hôpital national. Quant au Prix Tulipe, nous attendons encore de savoir ce qu’il va nous apporter matériellement. Vos lecteurs ne le savent peut-être pas mais l’utilisation de l’argent de ce genre de prix, parce que c’est à cela que vous faites allusion, est supervisée par les instances officielles du prix. Il ne s’agit pas d’un «  pactole » à dépenser. Plus que l’argent, le Prix Tulipe nous apporte visibilité, crédibilité et consistance internationale. Il est le fruit de la diplomatie d’IRA et IRA ne compte pas s’en tenir là.

IRA-Mauritanie n’est pas une histoire d’argent. Ceux qui en veulent pour leurs poches savent la direction à prendre et les portes auxquelles il faut frapper. IRA-Mauritanie est une idée, une dynamique de résistance contre les segments féodaux, esclavagistes et rétrogrades promoteurs du système raciste qui continue à ne voir de place, pour les Haratines en Mauritanie, que celle d’esclaves réduits à la pauvreté, exclus de tous les cercles de pouvoirs, à l’instar de leurs compatriotes peuls, soninkés, wolofs et bambaras, tout comme des castes marginalisées chez les Maures. IRA-Mauritanie est un choix, ferme et résolu, d’être aux côtés de toutes les victimes, quelles qu’elles soient, de violations de droits humains. Nous soutenons, surtout, les veuves, les orphelins et toutes les victimes de la tentative de génocide contre les Négro- mauritaniens, les soutenant ainsi dans leur légitime exigence de vérité, de justice et de tous les droits qui en découlent. Nous continuerons à nous battre pour le droit, inaliénable, à la propriété foncière des esclaves et anciens esclaves, sur des terres qu’ils travaillent aujourd’hui et que leurs ancêtres ont travaillées hier. D’où notre décision d’annoncer l’édition 2016 de la Caravane contre l’esclavage foncier et les expropriations foncières que nous organiserons cet été. 
       
- La Mauritanie passe, dans quelques jours, son examen périodique à Genève. Le pouvoir n’a pas lésiné sur les moyens, en envoyant ses organisations et ses hommes, munis de moyens substantiels, en vue de défendre les politiques et approches officielles en termes de droits de l’Homme, notamment de lutte contre l’esclavage. Comment se prépare la riposte ?

- Nous sommes au courant de la machinerie que les autorités esclavagistes de Mauritanie ont mise en branle, pour la rencontre de Genève, mais, pour la horde des laudateurs, ce sera peine perdue, c’est évident. Et ce ne sera pas une première : le régime esclavagiste mauritanien a toujours perdu, sur la scène internationale, par rapport aux questions de droits humains, en général, et, en particulier, par rapport à la problématique de l’esclavage. Quoiqu’il s’y s’emploie, avec beaucoup d’efforts et de moyens, il n’a jamais réussi à tromper la Communauté internationale qui exige, tout simplement, qu’on applique, en Mauritanie, les lois contre l’esclavage. C’est, je le rappelle, la raison d’être d’IRA-Mauritanie : faire appliquer la loi criminalisant l’esclavage et les pratiques esclavagistes. La position des Nations Unies est claire à ce propos. Lors de sa visite, la semaine passée, à Nouakchott, monsieur Ban Ki Moon, secrétaire général de l’ONU, a rappelé que les pratiques esclavagistes n’avaient plus de place, dans notre monde actuel, que la Mauritanie gagnerait beaucoup à appliquer les lois criminalisant l’esclavage, et à impliquer, en ce sens, les défenseurs des droits humains. N’est-ce-pas, là, un désaveu des autorités mauritaniennes, par la voix la plus autorisée de la Communauté internationale ? C’est bien l’ONU qui a décerné, à Biram, le Prix 2013 des droits de l’homme, prix qu’il partage, dans l’Histoire, avec Nelson Mandela, Benazir Bhutto et Taha Hussein.

- Après le départ de Saad ould Louleïd et quelques autres, peut-on dire que votre organisation est divisée ?

- Pas du tout. IRA a existé avant Saad et, je vous l’assure, elle lui survivra ! IRA en a vu d’autres. Le départ d’un militant, après qu’IRA-Mauritanie ait prouvé sa propre efficacité, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, ne peut, en aucun cas, diviser notre organisation. Bien d’autres nous ont quittés, par le passé : les autorités se sont empressées à leur délivrer des récépissés, pour animer des organisations concurrentes à la nôtre. Où sont ces organisations présentement ? Nous comptons, aujourd’hui, quatre récépissés de ce genre, leur sort est connu. Cela a été, pour nous, de petits incidents de parcours, des épiphénomènes sans importance, le « train IRA » roule, roule et roulera encore, jusqu’à la déconstruction, totale, du système de domination en vigueur en Mauritanie et le recouvrement, complet, de la dignité des Haratines.     

- Selon Saad ould Louleïd, IRA est prise en otage par un groupe de négro-africains. Quels commentaires cette déclaration vous inspire-t-elle ?

- « Argumentation » des plus lamentables. IRA-Mauritanie est une organisation équilibrée et sereine. Ce genre d’attaques nous laisse indifférents, notre combat n’est pas contre les individus, mais contre le système ! Nous comptons, dans nos rangs, toutes les composantes du pays et nous restons ouverts à tous.

- Certains accusent IRA de tout instrumentaliser, comme dans la dernière affaire de l’école Nessiba, pour poser des problèmes au pouvoir en place. Ne trouvez-vous pas qu’il est dangereux de trop tirer sur la fibre communautaire ?

- Sur cette affaire de l’école Nessiba, IRA-Mauritanie n’était pas seule, même si elle a été l’organisation la plus visible. Les faits sont malheureusement têtus : les autorités ont refusé aux enfants de participer à une compétition sportive (football) au Golfe, parce qu’ils sont exclusivement noirs et ne sauraient être les dignes représentants du système arabo-berbère. Vous avez suivi les arguments des autorités ? Ils sont vraiment légers.     

- Votre organisation considère que la composante harratine subit un véritable racisme d’Etat. Quelles en sont les principales manifestations ?

- Si l’esclavage a existé, par le passé, chez toutes nos communautés nationales, les Haratines restent les seuls à subir, encore aujourd’hui, sa forme traditionnelle (par ascendance), avec son corolaire d’agissements ignobles. Ces pratiques d’un autre âge perdurent, du seul fait de la complicité des autorités du pays, par leur refus de faire appliquer la législation contre l’esclavage.

Les Haratines (esclaves et anciens esclaves) forment près de la moitié de la population nationale. Ils sont pourtant exclus de tous les cercles de pouvoirs (politique, judiciaire, policière, militaire et économique). Mis en place depuis l’indépendance du pays, l’Etat arabo-berbère a fondé sa légitimité sur une prétendue supériorité numérique de la « composante arabe », utilisant les Haratines pour faire nombre mais, au moment du « partage » des biens et des postes de direction, « on » oublie, sciemment, la prétendue arabité des Haratines. Du racisme d’Etat.  

Faites un tour dans les quartiers les plus pauvres des grandes villes de Mauritanie. Allez au Port de l’Amitié. Patrouillez dans les beaux quartiers de Nouakchott et observez ceux qui assurent le gardiennage des chantiers de belles villas en construction. Tournez à l’intérieur du pays et relevez la nature des habitants des villages les plus pauvres… vous trouverez qu’ils sont, tous, des Haratines. Comment expliquer cette aberration statistique, autrement que par l’esclavage ? Qui sont ces petits garçons, ballotés à longueur de journée sur le dos d’ânes rachitiques,  qui distribuent les fûts d’eau ? Qui sont les petites bonnes à tout faire ?

- Quelle est la situation, en Mauritanie, des droits de l’homme, en général, et, en, particulier, de l’esclavage ?

- La situation des Droits humains est catastrophique, au plan général. Tous les rapports produits par les différents rapporteurs spéciaux des Nations Unies font état d’absence de progrès ; les recommandations formulées, à l’issue de l’examen périodique de Décembre 2015, à Genève, sur la Mauritanie, prouvent clairement le manque de volonté des autorités à améliorer la situation. Les esclavagistes continuent à être tolérés par les autorités qui envoient, à la place des criminels, les défenseurs des Droits humains en prison, avec des peines très sévères. La situation des droits humains est telle que beaucoup ont préféré s’exiler (Wlad Leblad…) 

- Selon certaines informations, Biram Dah Abeid et son vice-président Brahim Bilal Ramdhan font l’objet de beaucoup de pressions des autorités mauritaniennes, pour accepter d’introduire une demande de liberté provisoire après seize mois de détention. Qu’en est-il vraiment ?

- La place des présidents Biram Dah Abeid et Brahim Bilal Ramdhan est parmi nous. Ce sont des pères de famille qu’on soustrait à l’éducation de leurs enfants et l’entretien de leur foyer. Leur place est dans leur famille. Ils sont en prison pour leurs convictions, pour avoir dénoncé l’esclavage foncier et les expropriations foncières. Ils en ont apporté la preuve. Nous ne marchanderons jamais sur nos principes, nos leaders sont innocents, ils sont injustement emprisonnés, ce que les autorités doivent faire, c’est les libérer, sans contrepartie ni chichi.

- Considérez-vous, après coup, que la participation de Biram Dah Abeid, à l’élection présidentielle de 2014, fût une erreur de parcours ?

- La participation du président Biram Dah Abeid à l’élection présidentielle passée fut très riche en enseignements pour nous. Cela reste une action humaine, avec des imperfections mineures qui pourraient être améliorées, s’il nous revenait à la rééditer. Aux yeux de l’opinion publique internationale et aussi à nos yeux, Ould Abdel Aziz maintient en prison son principal challenger.

Propos recueillis par Sneiba El Kory

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