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samedi 19 avril 2014

Genèse de la question ethnique et raciale en Mauritanie ou genèse d’une agression: Réponse à Mariella Villasante, l’auteur de chronique politique de la Mauritanie



www.Afrikum@.org Première partie
L’objet de cette présente contribution  vise à fournir au lecteur un point de vue, un peu plus nuancé, sur les affirmations de  l’anthropologue franco-péruvienne Mariella Villasante Cervello et du politologue français  Jean François  Bayard. Ces affirmations concernent les rapports de l’Etat et de l’ethnicité dans le contexte pluriethnique de la Mauritanie.  Elle prend pour point de départ le point de vue de Mariella Cervello l’auteur de la série d’articles publiés par info-Adrar,  sur le site de presse en ligne Cridem, sous le titre de «  chronique politique de la Mauritanie » où elle met face-à-face deux types de nationalisme qualifiés de chauvins.  Elle renvoie dos à dos deux nationalismes qui, selon elle, s’affirmèrent dans le champ politique mauritanien dans les années 1980, celui des arabisants prônant «  la supériorité de la langue et de la civilisation arabes » et « celui  …des élites intellectuelles et jeunes auto-nommés négro-mauritaniens ». Le second nationalisme est, à son avis, inspiré de l’idéologie de la négritude de Senghor à la lumière de laquelle, de son point de vue, les forces de libération des africains de Mauritanie (FLAM créées en 1986) abordent la question de la « fracture sociale » dans ce pays sous l’angle raciste, dans leur « manifeste du négro-mauritanien opprimé ». Nous réservons notre appréciation sur le soi-disant racisme qui caractériserait la négritude défendue par Senghor, dans une prochaine contribution. Toutefois nous soulignerons au passage que la négritude, comme le fait remarquer le philosophe africain J.G Bidima, est « une revendication nationaliste dénonçant les justifications politiques, économiques et culturelles de la colonisation, une façon de revaloriser l’Afrique» (cf. Jean-Godefroy Bidima, la philosophie négro-africaine [?], Que sais-je no 2985, presse universitaire de France , 1995, p. 12-13) , et les africains qui en étaient victimes. C’est une telle entreprise  qui a sous-tendu les écrits des  chantres de la négritude que sont Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor.  Sartre a écrit que c’est l’antisémitisme qui fait le juif. On pourrait dire que c’est l’esclavage et la colonisation qui ont enfanté la négritude. Cette volonté de « repersonnalisation » de l’homme noir a été saluée par Le philosophe français  Jean Paul Sartre dans Orphée Noir, jugeant  le particularisme auquel s’est attaché la négritude comme un chemin indispensable  à l’homme noir pour défendre sa dignité d’homme et que c’est un moment de la dialectique de l’histoire vers l’universel.

Cette démarche est selon Sartre révolutionnaire. Concernant ces références aux écrits de Sartre sur la Négritude, nous vous renvoyons aux  articles, de Rokhaya Oumar Diagne et de Philippe Gouet, publiés dans la Revue négro-africaine de littérature et de philosophie, Ethiopiques No 61-2ième semestre 1989. Fermons cette parenthèse et revenons à notre sujet qui, d’une certaine manière, nous ramène au débat sur la question des rapports entre ethnicité, race et Etat en Mauritanie. Pour aborder cette question, Mariella .V.Cervello commence, avant tout, par souligner, en Afrique, « le caractère restreint des luttes ethniques…en réalité toutes les oppositions ethniques ont une part d’ethnicité, c'est-à-dire de mise en avant des identités restreintes ; et parallèlement, une part des revendications citoyennes d’accès à la pleine égalité nationale » (cf. Mariella Villasante cervello, publication Adrar-info-cridem.org).  Reconnaissant le fait de l’ethnicité dans les oppositions politiques en Afrique, l’auteur ne perd pas de vue l’existence d’une autre  revendication citoyenne adressée à l’Etat  et qui appelle à une égalité de traitement de tous les citoyens. A ce propos, en Mauritanie, l’appel à l’égalité au plan sociopolitique n’a jamais occulté les revendications identitaires qui se sont cristallisées, sous le régime du premier président mauritanien Moctar ould Daddah, autour de la question linguistique étroitement liée à celle de l’enseignement, dès 1966 au lendemain de l’indépendance,  et par la suite en 1979,  sous le régime militaire. C’est pour surmonter cette question qui  pousse de façon récurrente la jeunesse négro-mauritanienne à la révolte, et soutenue en cela par leur communauté, que furent adoptées, le 18 octobre 1979, par le Comité militaire de salut national (CMSN) , l’instance dirigeante en Mauritanie à cette époque, « les orientations d’une nouvelle réforme de l’enseignement intégrant les langues nationales négro-africaines (Poular, Wolof, Soninké) officialisée et transcrites en caractères  latins» (cf. Oumar Moussa. Bâ, Noirs et Beydanes mauritaniens, l’école creuset de la nation- Harmattan). A cet égard, il ne faut pas considérer les revendications identitaires des noirs en Mauritanie  comme le fait exclusif de l’élite intellectuelle noire et non celles des élites traditionnelles noires qui, selon Mariella Cervello,  s’accommodent généralement du discours officiel exprimé par l’Etat mauritanien. Cette élite  traditionnelle à supposer qu’elle soit adepte de «  la politique du ventre » est une minorité insignifiante par  rapport à l’ensemble des négro-mauritaniens marginalisées économiquement et politiquement, vu leur sous représentation dans ces deux secteurs. Un point de vue semblable a été  émis à une certaine époque et dans un autre contexte de crise qui est celui des grands lacs où on a laissé entendre,  qu’autant au Rwanda qu’au Burundi, « le sentiment d’appartenance n’est partagé que par les couches dirigeantes ». Ceci a été démenti par des observations selon Filip Reyntjens qui écrit,  dans le cas du Rwanda,« contrairement à ce qui se laisse entendre le discours de certains intellectuels et bon nombre de dirigeants, la division ethnique n’est pas un phénomène superficiel qui rongent certains intellectuels ». (cf. Filip Reyntjen, L’Afrique des grands lacs, en crise, Edition Karthala, page.13). Pour ce qui est du Burundi et citant Darbon, Reyjents  rapporte que  « la subjectivité de la mobilisation ethnique s’articule sur l’objectivité de la marginalité politique et économique » (cf. reyjents, idem, page.14). C’est justement ce type de marginalisation que dénoncent, encore aujourd’hui, la plupart des noirs mauritaniens. Cette dénonciation est relayée publiquement par  leurs élites intellectuelles, à travers  des écrits tels que « le manifeste du négro-mauritanien opprimé ». Outre ce démenti, Reyntjens rejette cette tendance à réduire les revendications identitaires à « un simple partage de gâteau par des élites ».« Cette politique du ventre  » de la part des élites africaines est au cœur de l’ouvrage de Jean François Bayard intitulé l’Etat en Afrique, la politique du ventre. Une politique  qui  se sert de l’ethnicité et du tribalisme  pour arriver à ses fins. A ce  propos Bayard  affirme que « dans le contexte de l’Etat  africain, l’ethnicité existe principalement  comme un agent (moyen) d’accumulation, à la fois de richesse et de pouvoir politique. Le tribalisme est donc perçu moins comme une force politique en soi qu’une voie par laquelle s’exprime la compétition pour l’acquisition de richesse, de pouvoir et de statut( traduit par nous de l’anglais cf. J.F Bayard, The state in Africa, the politics of Belly, Edition Longman London-New York, page.55, L’Etat en Afrique, la Politique du ventre).  Force est de reconnaitre ici que la démarche intellectuelle de Mariella  sur la question identitaire en Mauritanie s’inspire largement de celle de Bayard.
Ce dernier insère les revendications identitaires des négro-mauritaniens dans son schéma d’intelligibilité donc comme relevant de l’ethnicité, qu’il décrit dans son ouvrage susmentionné. C’est dans le contexte mauritanien qu’il choisi ses deux premiers exemples, entre autres,  relatifs au rapport Etat/ethnicité, en Afrique. Le premier est relatif au « manifeste des 19 » émanant des élites  négro-mauritaniens en  1966, dénonçant l’introduction de l’arabe dans l’enseignement en Mauritanie comme moyen de défavoriser les populations noires dans l’accès  aux emplois de la fonction publique, entre autres. Et, le deuxième exemple renvoie au «   manifeste du négro-mauritanien opprimé » de 1986 critiquant  la confiscation de leurs terres fertiles de la vallée du fleuve Sénégal par les « beydanes » (terme qui signifie littéralement « blancs » et  par lequel les arabo-berbères de Mauritanie s’auto-désignent) et l’octroi de prêts bancaires en vue de leur mise en valeur, un manifeste qui selon Bayard appelle à la violence contre les usurpateurs des terres (cf. JF Bayard, idem page.56).  Nous avons fait remarquer plus haut que les revendications identitaires des noirs de Mauritanie, en raison des crises récurrentes qu’elles suscitent, sont  loin de se réduire à un problème de partage de richesse nationale,  pour ne pas dire en caricaturant,  à un problème de partage de gâteau. La crise survenue en 1989, suite à un banal conflit à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, et qui a conduit à l’épuration ethnique des noirs de Mauritanie, à leurs déportations en masse au Sénégal et au Mali où ils sont présents jusqu’à nos jours, aux exécutions  sommaires de sa composante militaire (près de 1700 victimes) et civile, aux expropriations foncières dans la vallée et aux vols de biens et de milliers de bétails dont ils ont été victimes, tout cela ne saurait  être pris à la légère comme l’atteste la présentation laconique qu’en fait Mariella Cervello la conquistador franco-péruvienne et son inspirateur à savoir  Jean-François Bayard, le vaillant chevalier, sans peur ni reproche. Pour échapper à une telle légèreté et pour mieux saisir les enjeux identitaires  et les conflits qu’ils suscitent et  qui  pèsent sur  l’existence même de la Mauritanie comme entité politique, il convient de se rapporter à la genèse de la question de l’identité raciale et ethnique  dans ce pays. Pour ce faire, nous allons commencer par nuancer les affirmations de nos deux auteurs, pour mieux cadrer nos analyses.
Nous ne récusons pas dans le contexte de l’Etat contemporain  africain le rôle de l’ethnicité et du tribalisme dans la gestion prédatrice des biens publics, ni le comportement prédateur de certaines élites africaines adeptes de « la politique du ventre », toutefois nous estimons qu’il faut  nuancer les propos de Bayard qui perçoit dans ce comportement prédateur du personnel de l’Etat africain postcolonial un éloignement du modèle de  « l’Etat, né de l’occupation coloniale »… {Qui fait] l’objet  de multiples pratiques de réappropriations… {et] un champ d’indétermination relative ». Il faut tout de même noter, par ailleurs, que le développement de certains scandales liés à  certaines affaires, en France, au sommet de l’Etat, ces dernières années, impliquant des fonctionnaires français et des dirigeants africains,  prouvent que ce n’est pas seulement  en Afrique que se pratique cette « politique du ventre ». Par ailleurs, Jean suret-Canal estime que Bayard« ne saisit l’Etat qu’à travers son  personnel et les comportements de ce personnel, mais les fonctions de l’Etat, de ses divers services, pour l’essentiel, ne sont pas modifiés. Elles sont héritées directement de la colonisation, prédéterminés dans les structures économiques, la législation, etc. ». En effet, ce que l’on a appelé décolonisation n’a été qu’une procédure de remplacement « du gouverneur [de la colonie] par un président autochtone…
les chefs de services européens sont remplacés par des ministres nationaux, les administrateurs coloniaux relayés (souvent immédiatement) par des administrateurs  africains » (cf. Jean Suret-Canal, revue Pensée Janvier-Février 1995, page. 25). Telle est la tâche qui a incombé  aux  réseaux de Jacques Foccard nommé conseillé technique à l’Elysée, en 1958, par le général De Gaulle, en charge des problèmes africains. Ces réseaux vont constituer les relais entre l’Etat colonial français et les Etats postcoloniaux issus de la colonisation (cf.,  Pierre Péan, l’homme de l’ombre, Affaires africaines, Edition Fayard p.261). A ce propos, Péan écrit qu’ « on peut affirmer sans grand risque d’erreur qu’une part importante des matériaux dont dispose le fondateur de la 5ième république pour forger sa pensée sur l’évolution de l’ex-empire lui a été fournie par Foccard »(cf. Pierre Péan, l’homme de l’ombre, idem, page.262). Pour conjurer les soi-disant erreurs de la 4ième république, le général De Gaule « veut réinstaller la France à son rang dans le concert des nations…il invente la « communauté » grand ensemble de cent million d’habitants, liant de manière institutionnelle, sur la base de l’égalité des peuples, les territoires d’outre-mer à la métropole, ensemble dont il est le président » (cf. P. Péan, l’homme de l’ombre,  idem, p.262). La continuité  entre les Etats issus de la colonisation et la France et la dépendance à son égard sont ainsi assurées. Cette continuité et cette dépendance se sont  affirmées explicitement, lorsque le président
François Mitterrand a déclaré lors du sommet franco-africain de la Baule, en juin 1990, la nécessité de la démocratisation des régimes politiques africains jugée inséparable de l’essor du développement. La démocratisation devient une conditionnalité de l’aide au développement. Depuis a-t-on cessé le soutien aux dictatures ? Rien n’est moins sûr. En témoigne en Mauritanie,  le soutien apporté par les réseaux foccardiens ou de ce qui en reste, au coup d’Etat d’aout 2008 du général Mohamed ould Abdel Aziz perpétré contre l’ex- président démocratiquement élu Sidi Mohamed ould cheikh Abdallahi. A une autre occasion, ces réseaux foccardiens se sont illustrés à travers un de leurs  canaux à savoir « l’Association des  amis de la Mauritanie », quand il s’est agit de redorer le blason de l’ex-président dictateur exilé de force au Qatar suite à un coup d’Etat militaire en 2005 à savoir  Ould Taya,  que l’on voulait sortir de son isolement diplomatique, en raison d’une part de sa responsabilité au premier chef dans l’épuration  ethnique des années 1989  des négro-mauritaniens, comme susmentionnée,  et  d’autre part, en raison, du soutien qu’il avait apporté au régime  baasiste de Saddam Hussein, son mentor et celui des nationalistes arabes de Mauritanie, lors de la première crise du golf en 1990.  Soulignons au passage que c’était dans cette même perspective que le régime de  d’ould Taya allait établir des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël en 1999 sous la pression, aussi faut-il le dire de certaines puissances occidentales ; celles-ci seront d’abord gelées en 2009 puis rompues en 2010.
Moustapha Touré, pour Afrikum@

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