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jeudi 22 août 2013

Le peuple et les discours politiques

« La politique n’est l’art de l’avenir qu’en sachant d’abord être celui du présent » J.F.Revel

Par Bâ Sileye, Sociologue et Journaliste mauritanien
Par Bâ Sileye, Sociologue et Journaliste mauritanien
Les tragédies humaines émanent souvent du silence des hommes. Et même, parfois, il ne suffit pas de parler, il convient d’agir à temps. Tous les dirigeants mauritaniens n’ont fait jusqu’ici qu’évoquer les problèmes, alors qu’il faut mettre en place des politiques concrètes et efficaces pour gérer les crises nationales. Et ce, autant pour la distribution équitable des biens, le traitement égalitaire des citoyens dans l’accès à la fonction publique, que pour la visibilité politique et culturelle de toutes les composantes nationales. Notre pays regorge de ressources naturelles incommensurables, pourtant l’écrasante majorité - 40 % - de nos concitoyens croupit dans la pauvreté. Il n’y qu’une classe qui s’enrichit considérablement et une autre qui s’appauvrit lamentablement. Que l’on soit Maure, Peul, Soninké, Wolof ou Hartani, notre trajectoire de vie dépend naturellement du lien entretenu avec le système social et politique établi depuis la construction du pays. Afin d’exister en bon citoyen aux yeux des détenteurs du pouvoir, il faut renoncer à sa dignité. Devenir un citoyen grégaire et malléable. Nous en sommes arrivés là pour plusieurs raisons. Loin d’être exhaustif, on se contentera d’exposer quelques aspects.
La Mauritanie a toujours été gérée comme une propriété d’un clan, d’une région ou d’une tribu. C’est pourquoi son envol économique n’intéresse qu’une classe minoritaire : celle des entrepreneurs et des hommes d’affaires. Cette élite se reproduit en envoyant ses enfants dans les plus grandes écoles du monde. Elle est la seule à savoir ce que signifie un PIB, à comprendre le cours de la bourse  internationale et tous les grands plans financiers. Elle est aux bottes des bailleurs des fonds étatiques et étrangers. Les hommes d’Etat mauritaniens ne communiquent qu’avec elle. C’est pourquoi tout se confond : le bien public et le bien privé. Il suffit de constater l’ampleur de la dilapidation de nos ressources, pour se rendre compte du manque à gagner de la banque centrale. Les caisses de l’Etat se remplissent pour être aussitôt vidées dans les poches des gouvernants. La lutte contre la gabegie tant scandée par MOAA est un leurre. Le lièvre gît ailleurs !

Tout émerge du fondement sociologique de l’Etat, notamment à travers le projet de société qui devait être bâti dès notre accession à l’indépendance. Quelles est la conception de l’Etat des dirigeants d’antan, d’aujourd’hui et de demain ? De quel modèle constitutionnel sommes-nous inspirés ? Pourquoi les rênes du pouvoir sont toujours unilatéralement distribuées ? Voyons nos institutions depuis l’indépendance à nos jours : sommes-nous capables d’établir un bilan réconfortant ? Pourquoi le clanisme et le clientélisme remplacent-ils la compétence ? Pourquoi l’Etat  favorise-t-il le nationalisme arabo-berbère au détriment de l’identité négro-africaine du pays ? Quelles valeurs morales et civiques inculquons-nous aux futures générations ?


Les discours politiques confortent les positions des dirigeants au lieu d’introduire des solutions idoines aux crises et aux urgences. La preuve en est qu’ à Néma, devant une foule hystérique composée de sujets de notables, Mohamed Ould Abdel Aziz s’en est donné à cœur joie dans son exercice démagogique préféré. On ne communique pas avec des assoiffés et des affamés comme avec étudiants en économie. D’ailleurs, il suffit de comparer les chiffres faramineux évoqués lors de cette rencontre à ceux qui sont cités par les députés à l’Assemblée Nationale, pour s’apercevoir qu’ils découlent  de l’imaginaire de ses conseillers. Au lieu de lancer de la poudre aux yeux des citoyens, Mohamed Ould Abdel Aziz aurait pu présenter des projets concrets de construction d’école, de dispensaires et de forages. Somme toute, ils nous ont habitués à une médiocre spéculation. Le coche a été raté à Néma comme les années précédentes. Qu’il se tourne prochainement vers d’autres contrées du pays. Comme au Nord, il y a des oubliés de l’Etat au Sud. Ceux-là qui subissent un état de siège, le racisme de l’Etat et de tous ses rouages, de la discrimination à l’exclusion. Néma n’est pas plus digne que Wolum. S’il faut redorer le blason des pauvres, les gens des Hodh subissent le même calvaire que ceux de Guidimakha, de Gorgol ou de Brakna ect…

 Le mal ne réside pas uniquement dans la personnalité hautaine du Président, il se trouve dans l’imaginaire même de l’homme politique mauritanien. Son objectif consiste à décrocher le hochement de tête d’un notable, le ralliement d’un maire ou d’un député errant. Même s’il est convaincu des malheurs qui s’abattent sur les populations auxquelles il s’adresse, tout leader n’aspire qu’à entendre des louanges dithyrambiques et les cris habituels des foules déchainées.

Sur les problèmes de cohabitation et du respect des droits humains, ils brillent par leur fuite en avant. Tout récemment, l’injustice et le soulèvement populaire de Kéadi ont révélé l’échec de l’Etat. Au lieu d’afficher l’impartialité, l’appareil judiciaire a décidé d’envoyer un notable et des jeunes noirs en prison, alors que celui qui a été à l’origine du différend est non seulement blanchi mais bénéficie de la protection de l’Etat. Le pouvoir a réagi, comme à l’accoutumée, en réprimant les jeunes mécontents de voir leur dignité bafoué. Et les partis politiques se sont contentés de publier des communiqués, excepté TPMN et UFP qui se sont rendus sur les lieux pour ensuite éclairer l’opinion publique sur le parti pris des autorités. Nos dirigeants, du petit brigadier au président de la république, perdent toute équité lorsqu’il s’agit d’une confrontation raciale. Dans la vallée, le berger et le commerçant maure ont toujours raison. Et le noir de la vallée a toujours tort, c’est lui le raciste, communautariste et violent. Nous sommes habitués au discours démagogique consistant à dire que « notre unité est fragile » … mais qu’a-t-on fait pour la renforcer concrètement ? L’on refuse de reconnaître la déliquescence de l’Etat. C’est la politique des rapports de force qui nous gouverne.

Au tréfonds de la conscience nationale somnolent de sombres souvenirs de la violence de l’Etat. L’impunité des crimes odieux commis contre les officiers et soldats noirs en 89-90-91 alimente perpétuellement le sentiment d’injustice. Par cette complicité, les dirigeants favorisent les dérives et l’arbitraire. Les uns croient que tout est permis et les autres s’évertuent de rendre justice par eux-mêmes.  Raison pour laquelle le qui-vive est palpable. Si l’on veut conserver le peu de dignité et d’humanité qui nous restent, il est grand temps d’abolir dans toutes les sphères publiques la politique du « deux poids deux mesures ». La neutralité doit être une devise. Et la partialité de mise lorsqu’il s’agit de traiter les doléances  politiques et sociales des citoyens.

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