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lundi 10 juin 2013

L'esclavage existe encore !



Par Marie-France Cros 
 
Nouakchott pratique l’esclavage malgré l’Onu et ses propres lois.
Parce que cela leur donne bonne conscience, beaucoup de gouvernements préfèrent laisser entendre que l’esclavage par ascendance - être esclave parce que vos parents l’étaient - n’existe plus. Mais ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, en Mauritanie, le quotidien des populations serviles d’ethnie haratine (1) est une vie en dehors de la Déclaration universelle des droits de l’homme."
Biram Dah Abeid, président de l’organisation mauritanienne de lutte contre l’esclavage "Initiative de la résurgence antiesclavagiste" (IRA), lui-même descendant d’esclaves, est en tournée en Europe pour faire connaître son combat. Nous l’avons rencontré.
Contrairement à ce que l’on pense souvent - "et à l’idée qu’entretiennent les autorités mauritaniennes " - il ne s’agit pas d’une survivance du passé dans des milieux ruraux archaïques. "Là où nous luttons, c’est dans la capitale, Nouakchott. Dans les quartiers chics, résidentiels et administratifs, où vit la classe dirigeante. Les gens que nous avons réussi à traîner en justice sont issus de la bourgeoisie dominante, qui fait des études en Europe" , souligne M. Abeid. "Le dernier cas auquel l’IRA a travaillé, est un homme d’affaires, cousin du Président, dont la maison est située à 30 m du palais présidentiel Comment peut-on dire que l’esclavage est confiné au monde rural ? , insiste-t-il. C’est dans ces milieux aisés que la pratique de l’esclavage continue. Il y a plus de cas dans les villes que dans les zones rurales." 

Nouakchott ratifie sans appliquer

Car, souligne le militant antiesclavagiste, malgré le système des Nations unies, malgré les normes et conventions internationales, rien ne change en Mauritanie bien que Nouakchott signe et ratifie ces conventions. Et bien que l’esclavage soit devenu illégal sur son territoire depuis 1981 et criminel depuis 2007 (une loi punit de cinq à dix ans de prison ceux qui pratiquent l’esclavage mais n’a encore été appliquée qu’une seule fois). "Il est même inscrit comme crime contre l’humanité dans la Constitution mauritanienne depuis 2012, souligne le militant. Finalement, ces conventions ne servent qu’à protéger les pays qui pratiquent l’esclavage, comme la Mauritanie : on signe, mais on viole sa signature - sans conséquence parce qu’il n’y a pas de système coercitif international. La coercition, la communauté internationale ne l’utilise que lorsqu’il y a des enjeux économiques, stratégiques" , ajoute avec amertume M. Abeid.

Un code du IXe siècle

Selon lui, la seule pression vient d’organisations de défense des droits de l’homme. "Quand ces organisations s’en mêlent, certains gouvernements écrivent des lettres à celui de Nouakchott." Rien de plus ? Une grimace. "Non" , répond le militant.
Biram Dah Abeid explique que conventions internationales et lois internes ne sont pas appliquées en Mauritanie parce que celle-ci leur préfère un code ancestral - l’Abrégé, de Cheikh Khalid Mohammed Ibn Ishagh - rédigé au IXe siècle et dont de nombreuses exégèses ont été écrites jusqu’au XVe siècle. "En Mauritanie, ce code est considéré comme l’interprétation du Coran, donc comme la Sharia (loi islamique). Et la République islamique de Mauritanie considère, dans le préambule de sa Constitution, que la Sharia est la source de la loi. Or, ce livre divise les musulmans en deux catégories : les hommes libres et les esclaves, les noirs" - bien que le Coran interdise de faire un esclave d’un musulman.
Les esclaves - qui forment environ 20 % de la population mauritanienne - sont des biens que l’on peut vendre, qui n’ont pas droit à l’éducation et sur lesquels le maître a droit de vie et de mort. "Ce code dit aussi que les femmes esclaves sont les objets sexuels du maître, quel que soit leur âge. Que le maître doit castrer les esclaves hommes pour éviter le mélange des sangs; c’est pour cela que l’esclavage se transmet par la mère : ses enfants seront automatiquement esclaves. Le code dit aussi que les femmes - en général, pas seulement les esclaves - n’ont pas les qualités requises pour choisir leur mari et qu’elles mentent plus que les hommes Ce code est une interprétation erronée et machiste du Coran, mais c’est lui qui est appliqué en Mauritanie" , détaille le militant.

Apartheid

Le sort des esclaves affranchis et de leurs descendants, comme Biram Abeid - soit environ un tiers de la population mauritanienne - est également cause d’indignation. "Leur liberté est théorique. Ils portent des noms reconnaissables et sont donc victimes de fortes discriminations à l’école, face au droit de propriété foncière, face aux services publics. C’est un apartheid" , accuse M. Abeid.
(1)Descendants des Bafours (autochtones présents dans la région avant l’invasion arabo-berbère du XVe siècle) et des esclaves amenés d’autres régions.

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