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vendredi 21 septembre 2012

Abdourahmane NGAIDE, enseignant-chercheur au département d'histoire de l'UCAD : « La diplomatie sénégalaise marquerait un grand coup en ramenant la Mauritanie à la Cedeao »

Abdourahmane Ngaïdé est un Sénégalais d’origine mauritanienne. Il vit au Sénégal depuis 23 ans, après les malheureux événements de 1989. Hier réfugié, il est aujourd’hui professeur d’Histoire à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il analyse la visite du président Macky Sall en Mauritanie, la diplomatie sénégalaise et la situation des réfugiés mauritaniens.

Que peut-on attendre de la visite du président Macky Sall en Mauritanie ?
«Je pense que cette visite vient à point nommé même si, d’après  quelques réactions que j’ai lues dans la presse mauritanienne, des gens pensent que le président Macky Sall est allé un peu tard en Mauritanie. Mais mieux vaut tard que jamais. Le Sénégal et la Mauritanie, comme j’ai l’habitude de le dire, sont deux pays qui ne sont pas condamnés à vivre ensemble, mais vivent ensemble. Puisqu’il  y a des réalités qui dépassent les Etats et qui permettent de comprendre qu’il y a quelque chose d’extrêmement important entre ces deux pays que la diplomatie ne peut pas  changer. Ils sont deux Etats, dits modernes, qui entretiennent des relations par la voie de la diplomatie traditionnelle héritée de l’organisation de l’Occident. Il y a d’autres mécanismes qui ne sont pas visibles, mais qui permettent de dire que les relations entre le Sénégal et la Mauritanie sont quotidiennes. Les flux de personnes qui passent du Sénégal à la Mauritanie et vice-versa est une réalité  quotidienne. Les populations y commercent socialement ensemble. Les relations entre les deux pays sont au-delà de l’aspect institutionnel ou diplomatique, malgré les couacs permanents  qui y existent.»

Vous faites allusions aux évènements de 1989 ?

«Oui. C’est un événement extrêmement malheureux qui a endeuillé les deux pays. Mais je pense que l’événement remonte maintenant à plus de 23 ans. Moi-même je suis un résultat de cet événement, parce que c’est à partir de ce moment que je suis venu m’installer au Sénégal. Aujourd’hui, je n’ai plus de rapport  traumatique avec l’événement, mais plutôt un rapport de réflexion pour comprendre comment se fait-il que dans  le cheminement des sociétés, des conflits apparaissent et peuvent rompre les relations séculaires entre deux pays. Mais, malgré cela, les rapports n’ont jamais cessé entre les populations, même si les relations diplomatiques ont été coupées en un moment donné.»

Est-ce que ce conflit n’a pas laissé des séquelles dans les cœurs des populations des deux pays ?

«C’est inévitable que des séquelles soient là. Mais toujours est-il qu’il faut verser cet événement dans la marche globale de l’histoire des deux pays. On ne peut pas trouver une société apaisée tout le long de sa vie, c’est malheureux, mais cela fait partie du cheminement de la vie. C’était un drame au moment de son exécution. Mais, aujourd’hui, avec du recul, on comprend que c’est un processus qui doit nous permettre de mieux gérer les relations bilatérales qui existent entre le Sénégal et la Mauritanie pour qu’un tel événement ne se reproduise plus. D’abord, la géopolitique mondiale ne le permet plus. Et ensuite la vérité des relations entre les deux pays doit obligatoirement peser, plus que sur ce qui s’est passé en 1989. Il y avait autres choses derrière ce qui s’est passé en 1989, comme la présence de Saddam Hussein, la montée de l’arabité… Mais nous sommes arrivés en un moment ou la vérité sociologique, la vérité ethnique, la vérité territoriale nous obligent à réfléchir sur les relations entres les deux pays.»

Quel est la situation des refugiés mauritaniens au Sénégal ?

«Là vous touchez un problème qui est très sérieux. Moi,  j’ai l’habitude de dire refugiés politiques, puisque moi-même, au départ, j’étais un refugié politique. Parce qu’ici au Sénégal j’avais ma carte, je me suis déplacé pour aller en France. Je suis revenu depuis 7 ans, mais aujourd’hui, je ne suis plus dans la dynamique du refugié en tant que tel. Je pense que les refugiés mauritaniens, ce qu’ils sont en train de vivre est valable pour tous les refugiés du monde. Ce n’est pas une spécificité mauritanienne. Le grand problème des refugiés se situe au niveau du temps. Parce qu’avoir passé 23 ans, coupé de son territoire d’origine crée forcément des frustrations. Et, dans le processus de retour en Mauritanie, les gens pensaient qu’une fois de retour, ils allaient recouvrer l’ensemble de leur citoyenneté, ce qui n’est pas évident, comme d’ailleurs partout dans le monde. Je prends tout simplement l’exemple des Chiliens qui étaient en France et qui, au moment de la mise en place de la démocratie au Chili, sont repartis, mais tout d’un coup, ils sont retournés, parce qu’ils ne se retrouvaient plus dans cette société. Donc ce processus est dans la tête de l’individu. Pour ne pas jouailler, ce qui se passe actuellement, c’est qu’il y a des refugiés qui, depuis quelque moment, observent une grève. Ils disent qu’ils ne veulent plus retourner en Mauritanie, ni rester au Sénégal. Ils réclament une réinstallation dans un autres pays. Je ne suis pas dans le cœur de l’information qui tourne autour des refugiés, mais sans aller au-delà de la critique fondée sur l’observation des autres types de refugiés dans la monde, il y a des choses sur lesquelles on doit être plus clair. Il faut les conscientiser et leur dire  honnêtement qu’il n’est plus possible d’intégrer entièrement votre société d’origine. Mais le gouvernement sénégalais est disposé à les intégrer dans sa société. Je comprends leur dilemme, pour avoir été moi-même dans ce dilemme. Changer de nationalité n’est pas si évident que cela, puis qu’on lutte justement contre la négation de notre nationalité. Ce qui fait que le processus de sénégalisation était un processus individuel. C’est le processus qu’il faudra suivre et ce processus ne doit pas entacher la relation bilatérale entre le Sénégal et la Mauritanie. Parce que si le problème des refugiés n’est pas réglé une bonne fois pour toute, il sera toujours évoqué dans le processus de négociation entre les deux pays. Le Sénégal, la Mauritanie et les instances internationales doivent s’asseoir sur table et éradiquer ce problème et répondre à toutes les exigences internationales».

Que peut apporter la visite du président Macky Sall sur le plan de la sécurité, si l’on sait que toute la sous-région est sous la menace d’Aqmi ?

«Tous les acteurs savent aujourd’hui que la Mauritanie est incontournable dans la résolution du conflit au Mali. La démarche qui doit primer à mon sens, c’est qu’il faut que le Sénégal puisse, dans une diplomatie forte et apaisée, s’ouvrir carrément à la Mauritanie, pas peser sur la balance ou lui imposer quoi que ce soit, mais négocier pour que la Mauritanie soit plus attentive. Elle est attentive, parce qu’elle avait ouvert un processus de lutte contre Al-Qaïda qui a été décrié. Mais je pense qu’elle avait raison, parce qu’elle avait l’obligation de protéger son territoire. Mais le grand problème qui se pose, c’est que la Mauritanie ne fait pas partie de la Cedeao. Elle s’est retirée au début des années 2000. Le président doit avoir une discussion franche avec les autorités de la Mauritanie pour qu’elles se rapprochent davantage de la Cedeao. Et qu’elles puissent  comprendre que le destin de la Mauritanie  ne peut pas se faire en dehors de la Cedeao. La diplomatie sénégalaise marquerait un grand coup si elle réussissait à infléchir la marche de la Mauritanie et la ramener à la Cedeao. Ce sera difficile, mais c’est dans l’ordre du possible. Il faut réorganiser la diplomatie sénégalaise, parce qu’elle a été laminée pendant ces 12 dernières années».

Propos recueillis  par Ndiol Maka SECK (stagiaire

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