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mardi 19 juin 2012

Ely Ould Mohamed Vall à Kassataya : 'Il faut arrêter de jouer sur les malheurs des Mauritaniens'.

[Audio] - Plus de deux décennies après, les douloureux événements qui se sont soldés par des centaines d’exécutions extrajudiciaires et des milliers de déportations de citoyens Mauritaniens vers le Sénégal et le Mali continuent de hanter les esprits et les consciences.

Pour avoir été un des acteurs majeurs du pouvoir de l’époque, M. Ely Ould Mohamed Vall se trouve régulièrement interpellé sur la responsabilité qui est la sienne dans la rédaction de cette sombre page de l’histoire de la Mauritanie. Lui crie au complot et à l’instrumentalisation.

Il évoque à son tour la crise politique intérieure et pointe la responsabilité du pouvoir mauritanien dans ce qu’il appelle la déstabilisation du Mali. De passage à Paris, il a bien voulu répondre aux questions de Kassataya.

Abdoulaye Diagana : Une vague d’indignation a été provoquée par des propos que vous auriez tenus sur une radio mauritanienne. Vous avez publié un communiqué pour les démentir en en appelant à l’enregistrement de l’émission. Cette archive est-elle disponible ?


Ely Ould Mohamed Vall : Elle est tout à fait disponible et je peux la mettre à votre disposition quand vous voulez.

Abdoulaye Diagana : Vous dites dans votre communiqué que le seul volet dont vos services se sont occupés c’est celui des enquêtes de nationalité. Pour éclairer nos auditeurs, pouvez-vous nous dire quel service s’occupait des expulsions et quelle était la répartition des tâches au sein de la police ?

Ely Ould Mohamed Vall : Je voudrais d’abord dire qu’il faut arrêter de vouloir à tout prix jouer sur le malheur des Mauritaniens. Cette période dont la cause est les évènements entre la Mauritanie et le Sénégal a été dramatique pour les Mauritaniens et pour beaucoup de Sénégalais. Je pense qu’il faut éviter de vouloir à tout prix jouer sur ces événements. La vérité sur ces événements …doit être dite dans la sérénité et la vérité la plus absolue et de façon à ce qu’elles soient utiles aux Mauritaniens pour exorciser totalement et définitivement cette question.

Abdoulaye Diagana : Est-ce ce que ça se peut se faire, par exemple, dans le cadre d’une commission vérité et réconciliation ?

Ely Ould Mohamed Vall : Ecoutez en 2005-2007, j’ai dit aux Mauritaniens que ce qui est essentiel et fondamental est qu’ils s’assoient, se regardent en face, dans la sincérité la plus absolue pour dire que quand ils sont ensemble ils peuvent discuter de n’importe quel problème et décider de ce qu’ils veulent et qui est bien pour leur pays. Et donc pour moi, toutes les formes qu’ils jugeront utiles pour, je dis bien encore une fois, exorciser ce problème définitivement, pour moi elles sont entreprenables, valables et envisageables.

Abdoulaye Diagana :Et pourquoi vous n’avez pas organisé cette rencontre, ce débat du temps où vous étiez au pouvoir ?

Ely Ould Mohamed Vall : Je vais vous répondre comme j’ai eu à le dire déjà. Souvent on dit que monsieur Ely [Ould Mohamed Vall], pendant la transition, n’a pas voulu affronter la situation. Je dis non, ce n’est pas vrai. Monsieur Ely a bien affronté cette question, monsieur Ely a organisé des journées de concertation lors desquelles aucune question n’est taboue, où aucune question n’est interdite d’être discutée. Les Mauritaniens se sont assis et cette question a été bien abordée...

Référez-vous aux minutes de ces journées. Cette question a été largement abordée et il a été décidé que cette question doit être inscrite pour être solutionnée le plus rapidement possible par la Mauritanien et par les Mauritaniens. Mais le pays était dans une période de transition de 18 mois, une situation de coup d’Etat, la constitution était suspendue, les organes étaient d’exception et on devait organiser cinq élections.

Et, voyez-vous, si on introduisait cette question pendant cette période de 18 mois où il y a quatre élections, le débat allait être totalement faussé à cause des élections. Chacun, à ce moment-là allait essayer d’utiliser ces questions dans le débat politique et électoral. Or utiliser ces questions qui sont fondamentales et essentielles pendant quatre campagnes électorales en dix-huit mois c’est fausser la question.

C’est pourquoi j’avais dit que ce n’était pas la peine ; nous décidons de régler ces problèmes mais dans la sérénité la plus absolue et pour l’avenir de note pays ; mais seulement une fois que toutes les élections auront eu lieu, avec un parlement légalement élu, un président légalement élu, des municipales légalement organisées et que le pays rentre dans la légalité et que toutes les décisions prises soient opposables à la Mauritanie et dans la légalité la plus absolue et non dans une période d’exception.

Une période d’exception où des interférences étrangères interviennent obligatoirement. Et quand des interférences étrangères interviennent et avec quatre élections, le débat est faussé et n’est pas bon... Voilà ce qui a été fait et voilà les raisons pour lesquelles nous n’avons pas attaqué… Et j’ai dit aux Mauritaniens…

Abdoulaye Diagana : Mais le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi était un civil, pensez-vous qu’il pouvait avoir à l’époque la force qu’il fallait pour faire face à l’institution militaire et ouvrir ce sujet-là ?

Ely Ould Mohamed Vall : Ce que vous venez de dire, de mon point de vue, est extrêmement grave. Qu’est-ce qu’il y a de plus fort et légal qu’un président élu, reconnu par l’ensemble des Mauritaniens, par l’ensemble des partis politiques mauritaniens et élu par les Mauritaniens ?

Abdoulaye Diagana : Vous savez très bien que l’armée est toujours là et au cœur du jeu politique en Mauritanie, vous le savez très bien monsieur le président…

Ely Ould Mohamed Vall : L’armée est là mais, croyez-moi je la connais très bien, c’est une armée républicaine. Si elle trouve sa véritable place qui est celle de défendre le pays et d’être sous l’autorité légale du président, et si celui-ci joue pleinement ce rôle-là et si les choix du commandement militaire sont faits de façon adéquate dans cette perspective-là, l’armée ne pose pas de problème. Et elle n’a jamais posé de problème pendant les 18 ans avant le coup d’était de 1978 [depuis l’indépendance NDLR]. Et demain ou après demain si la situation du pays se normalise il est tout à fait possible que l’armée ne pose aucun problème de ce point de vue.

Abdoulaye Diagana : On en reparlera mais pour en finir avec cette question du passif humanitaire est-ce que vous pensez que cette question peut continuer à empoisonner la situation politique en Mauritanie ? Est-ce qu’on ne doit pas s’asseoir une fois pour toutes, en discuter et essayer de trouver une solution qui puisse mettre les Mauritaniens d’accord ? Est-ce que vous êtes favorables à une commission vérité et réconciliation ?

Ely Ould Mohamed Vall : Je viens de vous le dire. Je suis favorable à toute question décidée par consensus par les Mauritaniens au profit de la Mauritanie. Et ce qui a le plus porté préjudice aux solutions envisagées pour cette question c’est qu’elles ont été faites en catimini, dans une perspective politique personnalisée, plus politicienne que dans la perspective d’une solution globale du problème pour la Mauritanie et par les Mauritaniens, voilà le grand défaut.

Abdoulaye Diagana : Justement on va vu il y a quelques jours des cadres noirs de Mauritanie manifester contre des propos qui vont ont été prêtés. Vous connaissez la plupart d’entre - eux car vous étiez ensemble quand Ould Taya était au pouvoir. Que pensez-vous de ces personnes et de leur manifestation ? Est-ce que vous comprenez cet agacement ?

Ely Ould Mohamed Vall : Evitez-moi de faire un procès d’intention à quiconque, je respecte tous les Mauritaniens, moi j’ai énormément…

Abdoulaye Diagana : Et qu’est-ce que vous pensez de la démarche ?

Ely Ould Mohamed Vall : Attendez… J’ai énormément d’amis parmi mes confrères de la communauté africaine, énormément d’amitiés et de relations. Je n’ai jamais essayé de les utiliser dans une quelconque perspective politique. Je ne leur ai jamais demandé de manifester ou de faire une contre-manifestation et pourtant j’aurai pu le faire…

Abdoulaye Diagana : Parce qu’on leur a demandé de manifester ?

Ely Ould Mohamed Vall : Ecoutez ! Je pense que votre question est déjà une réponse suffisamment éloquente. Parce que ceux qui étaient l’autre jour… D’abord, ce sont quelques dizaines de personnes, par rapport à une question comme celle-là. Et deuxièmement, il y avait le secrétaire général de l’UPR, des notabilités du pouvoir et ils étaient encadrés par l’ANAIR.

Alors si pour vous ce n’est pas officiel, je ne sais pas ce que c’est. La communauté négro-africaine n’a pas été concernée et n’a pas manifesté parce qu’elle comprend très bien que c’est une simple petite manipulation du pouvoir qui n’aura absolument pas de lendemain et qui tout à fait dans un contexte politique. Ils auraient pu éviter cela pour la Mauritanie. Je pense que ce ne sera profitable ni pour la Mauritanie ni pour eux.

Abdoulaye Diagana : Certains manifestants ont ressorti vos propos quand vous traitiez les réfugiés de Tarzans. Est-ce que vous les regrettez aujourd’hui ?

Ely Ould Mohamed Vall : Je n’ai jamais traité les réfugiés de Tarzans. Voilà encore l’une de ces….

Abdoulaye Diagana : Vous ne l’avez jamais dit ?

Ely Ould Mohamed Vall : Non. J’explique. Laissez-moi remettre les choses dans leur contexte.

Abdoulaye Diagana : S’il vous plait

Ely Ould Mohamed Vall : J’assume, j’ai utilisé cette expression dans un meeting à Kaédi pour des raisons principales. Quand j’ai utilisé le terme de Tarzans, ce que je disais était, dans mon esprit et dans mon expression, très clair. Je disais à ce moment-là, comme je l’ai dit à Sélibaby la veille, que les problèmes de la Mauritanie sont les problèmes des Mauritaniens, ce sont eux-mêmes qui les régleront ensemble. Tarzan est le symbole extérieur et pas intérieur, s’il vous plait. Vous comprenez ?

Ce que j’ai dit est très clair. J’ai dit que ce ne sont pas des étrangers qui régleront nos problèmes, ce sont les Mauritaniens [qui le feront]. Et ça je l’ai dit de manière claire et nette. Et la symbolique de Tarzan que j’ai utilisée à l’époque c’était pour dire que les interférences étrangères ne seront pas acceptées. Que je ne les accepterais pas pour régler un problème mauritanien et pour la Mauritanie. Et que les Mauritaniens doivent se mettre dans la tête que tout règlement de leurs problèmes doit venir d’eux et doit être pour eux. Je l’ai dit et je le répète encore aujourd’hui. C’est nous qui devons régler nos problèmes pour nous-mêmes et pas quelqu’un d’autre.

Abdoulaye Diagana : M. Ely Ould Mohamed Val je vous pose la question directement, vous étiez à la tête des services de renseignements de Mauritanie. Vous êtes bien placé pour savoir ce qui se passait en Mauritanie. Est-ce qu’il y a eu des exécutions extrajudiciaires en Mauritanie, est ce qu’il y a eu des ressortissants mauritaniens qui ont été expulsés de leur pays? Très simplement.

Ely Ould Mohamed Vall : Je vous dis de façon claire et nette: je ne parle jamais que de ce qui me concerne.

Abdoulaye Diagana : vous étiez très bien informé.

Ely Ould Mohamed Vall : Je ne parle que de ce qui me concerne, je vous dis

Abdoulaye Diagana : Et de ce que vous savez ?

Ely Ould Mohamed Vall : Je ne parle que ce qui me concerne ; et je ne suis pas obligé de savoir ce qui se passe ailleurs et je n’ai jamais été un fouineur. Voila. Je voudrais être clair sur cette question-là. Je pense que ce n’est pas la peine… j’ai eu à dire ce que je pensais sur cette question par le passé et je pense que c’est amplement édifiant pour les Mauritaniens.

Abdoulaye Diagana : Les Mauritaniens en sauront-ils davantage, un jour ?

Ely Ould Mohamed Vall : De toute façon, ce que je peux vous dire, moi je n’ai rien à cacher. A tout moment, comme j’ai eu à le dire, le jour où il y aura un débat apaisé, le jour où il y aura un débat serein ou un débat utile pour la Mauritanie où les Mauritaniens voudront véritablement… exorciser le diable de cette situation, arrêter de polémiquer, je dis bien arrêter de polémiquer, parce que la polémique, de mon point de vue, ne sert strictement à rien du tout, en ce moment-là, personnellement je n’ai rien à cacher et je n’ai absolument rien de caché. Je contribuerai à clarifier cette situation. Le jour où cette situation que je décrivais tout à l’heure sera possible, croyez-moi, je contribuerai en toute sincérité et en toute paix, en toute vérité pour la clarification de cette question-là.

Abdoulaye Diagana : Y a-t-il une chose que vous regrettez sur cette période-là ? Avec le recul il y a des excuses, un mot-je ne vous demanderai peut-être pas de présenter des excuses comme ça- est-ce qu’il y a quelque chose que vous auriez fait autrement si c’était à recommencer ? Est-ce qu’il y a quelque chose que vous regrettez ?

Ely Ould Mohamed Vall : Non, il faut demander à l’Histoire. C’est à l’Histoire de se refaire ou de ne pas se refaire. Ce n’est pas à moi. Moi je n’ai jamais planifié ni concerté quoi que ce soit et je ne suis pas au courant d’une concertation sur quoi que ce soit. Alors, demandez à l’Histoire de se refaire ou de ne pas se refaire. Je n’y peux rien. Les conditions historiques de cette situation, vous les connaissez mieux que moi.

C’est une situation qui s’est passée malheureusement entre deux pays frères, entre deux peuples frères. Les causes, chacun peut les expliquer à sa manière ; chacun peut les voir à sa manière. Demandez plutôt à l’Histoire de s’excuser ou de se refaire. Ce n’est pas à moi. Moi, je ne suis que comme vous ou comme n’importe qui, un Mauritanien au moment où cela s’est passé. Je voudrais tout simplement que vous demandiez cela à l’Histoire. Est-ce que l’Histoire peut se remettre en cause ? Est-ce qu’elle peut se refaire ? Est-ce qu’elle peut s’interroger elle-même ? Tout cela est-ce possible ?

Abdoulaye Diagana : Merci. Monsieur Ely Ould Mohamed Val, nous allons maintenant parler de votre opposition frontale à M. Ould Abdel Aziz alors que vous étiez partenaires pour renverser Ould Taya et conduire la transition. Qu’est ce qui motive votre opposition aujourd’hui ?

Ely Ould Mohamed Vall : : Ecoutez, ce qui la motive est très clair. En 2005, nous avons, un certain nombre d’officiers au sein des forces armées nationales, décidé de déposer le régime qui était en place pour des raisons que tous les Mauritaniens connaissent. Le régime qui était en place, sans le juger, était arrivé au stade où cela ne pouvait pas continuer. Il y a eu 2003, il y a eu 2004 et 2005 [dates auxquelles des officiers intermédiaires essayèrent de prendre le pouvoir par la force, NDLR], comme j’ai eu à le dire, probablement deux ou trois autres tentatives étaient déjà en préparation.

C’était un choix. Ou il fallait intervenir et essayer de réorienter le pays dans une perspective politique qui lui évite une somalisation, qui lui évite des situations que nous avons connues dans notre sous–région africaine, ou il faut laisser faire et en ce moment prendre le risque que les choses puissent échapper et nous avons décidé d’agir…

Abdoulaye Diagana : Ces coups d’état qui étaient en préparation, c’était ceux des cavaliers du changement ou d’autres qui étaient dans le pouvoir ?

Ely Ould Mohamed Vall : C’est beaucoup d’autres choses. Des nouveautés, si vous voulez. Parce que la situation était une situation, si vous voulez, délétère, une situation où le pays commençait véritablement, à cause d’une succession de tentatives, à commencer à…

Abdoulaye Diagana : Il pouvait y avoir un coup d’Etat que vous ne contrôliez pas qui aurait pu vous emporter…

Ely Ould Mohamed Vall : Pas un seul ; deux ou trois, pas un seul, je vous ai deux ou trois…

Abdoulaye Diagana : vous auriez aussi pu être emporté par cela ?

Ely Ould Mohamed Vall : Moi, je ne pense pas que j’ai regardé cela de cette perspective-là, de ce point de vue, de cette perspective-là. La question n’était pas pour moi une question personnelle ; c’était la question du pays avant tout. Je pense qu’il faut éviter de personnaliser ce problème. En tout cas moi, je ne le personnalise pas. Pour moi, ce qui était le plus important c’était le pays. Voilà la situation dans laquelle le pays se retrouvait et pourquoi nous avons agit en ce moment-là.

Mais quand nous avons agi, nous avons dit : essayons de donner à ce pays une orientation politique définitivement qui puisse éviter au pays de rester dans cette situation de perspectives de changements uniquement par le coup d’état.

Tout le travail qui a été fait pendant cette période de 2005 à 2007 tendait tout simplement à aller vers une perspective qui consistait à d’abord initier un projet de société consensuel entre tous les mauritaniens ; gérer ce projet de société avec tous les mauritaniens jusqu’à l’aboutissement de ce projet de société. Une fois qu’il a abouti, en fait envisager maintenant un projet de société dans la constitutionalité, dans la légalité et dans la légitimité. Un Etat légal, légitime et constitutionnel a, plus que quiconque, de chances d’envisager les changements dans la légalité, dans la sérénité. Voilà en peu ce que nous avons…

Abdoulaye Diagana : Pourquoi à partir de ça vous en êtes arrivés à ne plus vous entendre avec Ould Abdel Aziz ?

Ely Ould Mohamed Vall : Jusqu’à là, la question ne se posait même pas. Il y avait un projet de société que j’ai initié, que j’ai initié avec tous les mauritaniens. Une fois que ce projet de société était terminé et que j’ai donné les clés du palais au nouveau Président et qui est de l’avis de tout le monde, vous en conviendrez avec moi, était le projet de société qui a porté aux cimes notre pays, politiquement, sur le plan de la réputation et qui lui offraient la possibilité de perspectives économiques, politiques et sociales extraordinaires et des perspectives de solutions de tous les problèmes extraordinaires et j’ai donné les clés du palais et je suis parti chez moi.

A partir de ce moment-là, j’ai essayé, par tous les moyens, de me retirer totalement de la vie politique et quand un journaliste m’a posé la question quand je suis arrivé à la maison « Monsieur le Président est ce que vous allez revenir à la vie politique ? », qu’est-ce que je lui ai dit ? « J’espère que les conditions qui me feront revenir à la politique ne se réaliseront jamais dans mon pays ». C’est un message très clair.

Si les conditions qui devaient me faire revenir à la politique ne s’étaient pas réalisées, je ne serais pas revenu. Alors, qu’est ce qui s’est passé en 2008 ? De façon très clair, une rébellion personnelle a mis bas tout le travail qui a été fait et a réinscrit le pays dans les perspectives d’un retour à la situation de 2003…

Abdoulaye Diagana : Vous parlez du coup d’état initié par Mohamed Ould Abdel Aziz

Ely Ould Mohamed Vall : Je parle de la rébellion de 2008 qui a tout fait perdre à ce pays et aujourd’hui l’a remis dans la situation de 2003. Et malheureusement, cette rébellion, comme son auteur le dit lui-même est une simple réaction et non un projet de société et cette réaction il l’a très bien exprimée en disant « il m’a enlevé, je l’ai enlevé » [en référence à la décision du président civil Sidi Ould Cheikh Abdallahi de limoger les généraux de l’armée le 6 août 2008. En réaction, ceux-ci l’avaient renversé. NDLR].

Et comme je le dis toujours, est ce que « il m’a enlevé, je l’ai enlevé » est programme politique, social ou économique ? Voilà la question. A partir de cela, vous savez très bien qu’immanquablement -il était logique et prévisible pour toute personne avertie- que le pays allait retourner à la situation de 2003 et aujourd’hui nous y sommes en plein malheureusement.

Abdoulaye Diagana : C’est la seul chose qui vous oppose donc au coup d’état-là ?

Ely Ould Mohamed Vall  : Mais absolument. Qu’est-ce qui… Je ne fais pas de sentiments personnels quand il s’agit des intérêts de mon pays et quand il s’agit de la Mauritanie.

Abdoulaye Diagana : Et qu’allez-vous proposer à la Mauritanie et aux mauritaniens ?

Ely Ould Mohamed Vall : Ce que je leur propose est très clair. La première des choses, il faut arrêter l’Etat des illégalités. Je dis bien des illégalités, au pluriel. Aujourd’hui, nous sommes dans un Etat des illégalités. Premièrement, l’illégalité de la fonction présidentielle. Un officier qui se rebelle et qui légalise sa rébellion par la fraude. Donc illégalité au niveau de l’institution présidentielle.

Un parlement dont le mandat se termine en novembre 2011 et une fois que son mandat est terminé, il s’assoit et prend une loi constitutionnelle dans l’illégalité la plus absolue pour pérenniser ses fonctions jusqu’à nouvel ordre, jusqu’aux nouvelles élections, c’est-à-dire sans limites. Voila la deuxième illégalité.

La troisième illégalité, une justice qui était limite, une illusion, qui vient d’être piétinée par tout simplement le fait que le président de la cour suprême a été enlevé alors qu’il a un mandat inamovible. Voila trois illégalités aujourd’hui, un vide juridique dans notre pays, et par conséquent un Etat qui n’existe plus.

Abdoulaye Diagana : M. Ely Ould Mohamed Val, vous êtes perçu à l’étranger comme celui qui conduit cette transition qui a ouvert les portes de la démocratie à la Mauritanie, vous venez de le dire, avec le retour des civils au pouvoir. Comprenez-vous que l’on puisse être surpris que vous demandiez aujourd’hui le départ d’un pouvoir par des moyens qui ne soient pas constitutionnels ?

Ely Ould Mohamed Vall : Je n’ai jamais demandé le départ d’un pouvoir par des moyens qui ne soient pas constitutionnels…

Abdoulaye Diagana : Mais les élections, ce n’est pas maintenant.

Ely Ould Mohamed Vall : Mais à partir du moment où le pouvoir est lui-même est un pouvoir illégal ; je n’ai jamais reconnu ce pouvoir et je n’ai jamais dit que ce pouvoir était illégal. Je viens de vous dire que c’est une rébellion légalisée par la fraude. Je vous dis que c’est assemblée nationale qui légifère en toute illégalité. Je vous dis que c’est une justice piétinée.

Abdoulaye Diagana : Alors, pour changer cette situation d’illégalité, y a-t-il autre chose que des élections ?

Ely Ould Mohamed Vall : : Doucement. Je termine. Nous sommes dans trois illégalités institutionnelles. Et quand un Etat est dans trois illégalités institutionnelles, dans les trois pouvoirs institutionnels d’un Etat, cet Etat n’existe plus, monsieur. Ne me demandez pas d’accepter l’inacceptable. C’est un pouvoir virtuel aujourd’hui. Ne me demandez pas d’accepter l’inacceptable, vous comprenez ?

Abdoulaye Diagana : De quels moyens disposez-vous pour le faire partir autrement que par les élections ? Comment peut-il partir ?

Ely Ould Mohamed Vall : Je pense que c’est aux mauritaniens et aujourd’hui les mauritaniens sont très conscients de cette situation. Quelqu’un m’a dit la dernière : ce pouvoir est illégitime à l’intérieur mais il a la légitimité internationale. Que signifie la légitimité internationale dans un pays où toutes les illégitimités nationales sont là. Est-ce que l’international peut nous opposer une légitimité par rapport à trois illégitimités nationales ?

Abdoulaye Diagana : Pour le moment il est là, ce pouvoir

Ely Ould Mohamed Vall : : Ecoutez, il est là. Ok, il est là. Nous aussi nous sommes là. Où est le problème ?

Abdoulaye Diagana : Monsieur le Président, la rébellion malienne a des répercussions sur nos relations avec les voisins. La Mauritanie a-t-elle raison d’accueillir le bureau du MNLA (la rébellion Touareg du Nord Mali) à Nouakchott ?

Ely Ould Mohamed Vall : : Ecoutez, j’ai eu à me prononcer sur cette question. Je voudrais être clair sur cette question. L’intérêt de la Mauritanie, l’intérêt des pays du Sahel, l’intérêt du Maghreb, l’intérêt de l’Afrique de l’ouest c’est un Etat malien fort, solide, unitaire. La Mauritanie aurait dû jouer cette carte et uniquement cette carte et n’aurait jamais dû contribuer de près ou de loin à la déstabilisation de l’Etat malien et malheureusement, cette politique qui a été menée par la Mauritanie a largement contribué à déstabiliser le Mali.

Les interventions mauritaniennes sur le territoire malien qui ont frustré l’armée malienne et le peuple malien ont été en grande partie la cause et ont encouragé ce qui s’est passé au Mali. C’est malheureux et je le dénonce et je pense que ça a été une erreur stratégique et une erreur fatale. Elle a été fatale pour le Mali et elle sera une erreur fatale demain pour la Mauritanie. Et je vous dire ceci : la lutte contre le terrorisme dont on parle et par rapport à laquelle on se pavane à Nouakchott que nous sommes champions de la lutte contre le terrorisme, le résultat au bout de deux ou trois ans c’est l’installation au nord du Mali et une QAIDA au Mali.

Si le Mali devient le l’Afghanistan, la Mauritanie deviendra demain le Waziristan ou le Pakistan demain. Elle l’est déjà aujourd’hui. Le Niger deviendra lui aussi un autre Waziristan, un autre Pakistan ; en attendant de devenir, dans les semaines ou les mois à venir, un autre Afghanistan. Voila le résultat de cette politique, le résultat de ce comportement.

Abdoulaye Diagana : Est-ce que la solution de cette crise passe aussi par Nouakchott ?

Ely Ould Mohamed Vall
: : Je ne vois pas quel rôle Nouakchott peut jouer. Nouakchott s’est mis aujourd’hui dans une situation dans laquelle il ne peut plus jouer aucun rôle. Je ne vois plus quel rôle jouer. Les Maliens sont aujourd’hui conscients que notre pays, de façon inamicale, a contribué à sa déstabilisation. De l’autre côté, la politique sécuritaire qui a été menée a installé des gens sur lesquels la Mauritanie est en confrontation directe. Alors, quel rôle la Mauritanie peut-elle jouer ? Je ne vois pas.

Merci Monsieur le Président pour cette interview réalisée par Abdoulaye Diagana et Samba Traoré pour Kassataya. Merci et au revoir.


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