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mercredi 30 mai 2012

Incinération des livres malékites : un nouveau départ pour Haratins et Beydanes ?

Écrit par Khaled Ould Mohamed Ould Esseissah

M. Khaled Mohamed Crédit photo Aboubacar DiaganaJ’ai suivi avec beaucoup d’intérêt et attention la polémique récente suscitée par l’incinération des livres malékites dans mon cher pays. Cet acte qui a fait couler beaucoup d’encre et ne cesse de faire écho dans les medias publiques. Il est évident que cet acte de Biram Ould Abeidi, président de l’IRA (l'Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste), ne fait pas l’unanimité en Mauritanie.
En effet, l’opinion nationale s’est divisée en deux camps : ceux qui  sont pour et ceux qui sont  contre. Personnellement, j’étais fortement frappé par l’instrumentalisation et la politisation du débat autour de cette affaire, voire sa monopolisation par les extrémistes des deux côtés. D’un côté, des multiples voix se sont levées réclamant la tête de Biram en l’accusant de blasphème et une atteinte grave à l’Islam sans précédent dans l’histoire de la Mauritanie.  D’un autre côté, il y a ceux qui voient dans le personnage de Biram un héros, longuement attendu, qui est capable de mener la cause des Haratins à la terre promise.
Dans cet article très court, je ne vais pas revenir sur la dimension religieuse de cette affaire, car je n’ai pas le temps ni assez de bagage intellectuel qu’il faut pour pouvoir l’aborder. De même, je ne cherche pas à blâmer Biram pour son geste ni à jeter des fleurs à l’IRA. Cependant, je cherche tout simplement à m’interroger sur  les changements et les répercussions que cette affaire peut engendrer dans les rapports entre les Harratins et les Beydans. Autrement dit, je me pose les questions suivantes : cet autodafé  peut- il  changer les regards méprisants que certains Maurs portent contre certains Harratins ?  Peut-il nous forcer à voir l’éléphant dans la pièce (la triste réalité de l’esclavage) dont on refuse toujours de parler, particulièrement dans nos moments de détente autour des tables de thé dans les maisons et sous les tentes ? Quelles sont les leçons qu’on peut en tirer pour bâtir des liens, entre ces deux groupes, fondés sur la franchise et la reconnaissance du fait que les Harratins ont goûté à toutes les amertumes de la traite négrière sub-saharienne, à savoir la dislocation des familles, la torture, l’humiliation, la marginalisation et l’exclusion ? En effet, tout cela s’est passé  et se passe encore au vu et au su de tout le monde et avec la bénédiction  ou la complicité par silence de certains grands ulémas (érudits) Maurs. Bref, cet évènement peut-il servir de tremplin dans l’harmonisation et l’amélioration des relations entre ces deux communautés : Haratins et Beydans ?
Je dirai « OUI ».  Cet évènement peut bien servir comme nouveau départ dans le rétablissement des liens pacifiques et harmonieux entre  Haratins et Beydans ; mais à une condition : que les uns et les autres acceptent de regarder la réalité en face et de conjuguer des efforts pour pouvoir éradiquer toutes pratiques esclavagistes dans la paix et la sérénité. A mon humble avis, cette expérience est une occasion idoine pour enfin avoir un débat sincère et franc autour de la problématique Haratins. Dans cette intention, j’estime qu’il est grand temps  pour  les Maurs d’assumer pleinement leur part de responsabilité, « en rendant à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », en payant leur dette envers les Harratins et en se  rachetant de leur grand péché originel (l’esclavage). Pour cela,   je pense qu’il est grand temps que l’Etat mauritanien dans un premier temps brise son silence sur la persistance des pratiques esclavagistes et s’engage fermement à y mettre fin. Ensuite, l’Etat doit présenter des excuses publiques les plus sincères aux Harratins et verser des compensations aux victimes de l’esclavage. Et pour préserver réellement l’unité nationale et la cohésion sociale, il est important de mettre en place une politique de « discrimination positive », avec des objectifs fixes et des programmes concrets, visant à aider les ex-esclaves et les actuels esclaves à trouver leur place propre dans la société.
Bien évidemment, tout cela ne peut pas se faire sans le soutien et la bénédiction de tous les mauritaniens, y compris les universitaires, les politiciens, les chefs de tribus, la société civile, et surtout les ulémas. Enfin, il faut aussi que la jeune intelligentsia des Harratins prenne sa responsabilité en montant au créneau pour réclamer ses droits et dénoncer toute pratique esclavagiste. Car l’histoire de l’humanité nous enseigne que les droits du peuple opprimé ne se donnent pas mais qu’ils s’arrachent!
Khaled Ould Mohamed Ould Esseissah

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