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samedi 7 janvier 2012

Mustapha Chafi : "La politique d'Aziz contre Aqmi manque totalement de discernement et d'efficacité"

Moustapha Chafi, en août 2010 à Ouagadougou. Moustapha Chafi, en août 2010 à Ouagadougou. © Ahmed Ouoba/AFP/Archives
Accusé par la justice mauritanienne "d’appui financier au terrorisme", entre autres, Mustapha Chafi réagi avec fermeté. Le conseiller de Blaise Compaoré compte même porter plainte contre le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, qu’il estime à l’origine du mandat d’arrêt lancé contre lui. Interview d’un homme qui entend laver son honneur. À grande eau.
Jeuneafrique.com : Comment réagissez-vous au mandat d'arrêt international émis à votre encontre par la justice mauritanienne pour « appui financier au terrorisme, coopération avec des chefs terroristes et soutien matériel à des réseaux terroristes dans le Sahel » ?
Mustapha Chafi : Cette vieille méthode consistant à diaboliser son adversaire a été servie à outrance par des dictateurs pour neutraliser et détruire tous ceux qui s’opposaient à eux par la force de leur conviction. Moncef Marzouki en Tunisie (aujourd'hui président) a fait l’objet de toutes les accusations lorsqu'il était opposant. En novembre 1999, les autorités ivoiriennes ont émis un mandat d’arrêt international à l’encontre d'Alassane Ouattara pour fraude sur la nationalité. Sans aucun fondement.
Dix ans plus tard, Mamadou Tandja, alors président du Niger, faisait de même contre son opposant Mahamadou Issoufou au motif de blanchiment d’argent. Les exemples sont légions. Notez toutefois que les trois victimes d’hier président aujourd’hui aux destinées de leurs pays respectifs. Le général Aziz essaye à son tour d’instrumentaliser la lutte contre le terrorisme et de manipuler les partenaires occidentaux afin de s’en faire des alliés dans son projet de confiscation du pouvoir. Les évènements du printemps dernier dans le Maghreb et ceux plus récents de la Libye auraient pourtant dû l’édifier sur le caractère complètement dépassé et sans issue de cette stratégie.
L'opération d'identification nationale et d'enrôlement, que je compare au concept d'ivoirité, fragilise l'unité nationale en catégorisant les Mauritaniens.
Avez-vous des ambitions politiques en Mauritanie ?
Non, aucune. Je n’ai aucune ambition de parvenir à une position de pouvoir. La situation des Mauritaniens se détériore de jour en jour. Les prix augmentent, l'affairisme se développe à tel point que nombre d'hommes d'affaires choisissent le chemin de l'exil. L'opération d'identification nationale et d'enrôlement, que je compare au concept d'ivoirité, fragilise l'unité nationale en catégorisant les Mauritaniens. Il faut en finir. J'appelle les Mauritaniens à prendre leur responsabilité de manière pacifique. Je suis et resterai militant.
N'avez-vous rien à vous reprocher ?
Comment peut-on m'accuser de terrorisme ? J'ai œuvré des mois durant dans un environnement très hostile et des conditions de sécurité difficiles, affronté des peurs indescriptibles, pour tenter de préserver la vie des otages. J’y suis parvenu. Ma modeste contribution à la libération de ces innocents enlevés et menacés de mort, au péril de ma propre vie, est plutôt un motif de fierté et de satisfaction morale que de reproche.
N'êtes vous pas trop proches des leaders d'AQMI ?
Pour les avoir rencontrés dans leurs sanctuaires, je vous affirme, sans détour, que ces gens n’ont pas d’amis, pas de proches. Ils ont absolument tout sacrifié : jeunesse, famille, plaisir et confort. Ils sont à la recherche constante de la mort et mettent chaque jour en danger leur propre vie. Mourir au combat ou en kamikaze est leur idéal. Je ne partage ni leur idéal, ni leur idéologie, encore moins leur combat. Et ne suis ni l’un des leurs, ni proche de leurs membres ou, à plus forte raison, de leurs leaders.
Il n’y a rien de plus difficile, de stressant, d’exténuant que de négocier trente minutes avec leurs leaders. Malgré la multiplication des rencontres, les discussions n’avancent parfois pas d’un iota. Vous avez l’impression de buter sur un mur. Il vous faut sans cesse croire, persévérer, insister, transformer les échecs en espoirs, chercher des arguments face à des interlocuteurs en rupture avec ce monde, ses réalités, ses logiques. Ma foi en Dieu m’a permis de ne jamais relâcher mes efforts et de finalement réussir.
Chafi (à dr.) avec deux otages espagnols qu'il a aidé à faire libérer (R. Pascual et A. Vilalta), le 23 août 2010.
© APA
Quand les avez-vous rencontrés pour la première fois ?
C’était en 2009. C’est un réseau complexe de relations dans les milieux touaregs et arabes qui m’a permis de nouer des contacts afin d’obtenir la libération des otages canadiens. Toutes les actions étaient menées dans le cadre d’une coopération sous régionale en association très étroite avec les pays d’origine des otages.
Ce mandat va restreindre vos déplacements. N'est ce pas gênant alors que vous courrez la sous-région ?
Ce mandat est une tentative d’intimidation, il est sans effet et ne menace en rien mes activités. J'étais au Mali lors de son émission et je suis aujourd'hui au Burkina. Comme tous les opposants qui en ont été victimes, je continuerai à circuler librement. À travers ce mandat, Aziz surprend ses alliés en dévoilant sa méconnaissance des procédures des relations internationales. Il cherche à instrumentaliser la communauté internationale mais n'y parviendra pas.
Pourquoi vous en prendre au président Aziz alors que le mandat est émis par le parquet de Nouakchott ?
La justice mauritanienne est instrumentalisée et caporalisée malgré les tentatives des juges de se soustraire aux pressions subies pour dire le droit. Si leurs décisions ne sont pas conformes à la vision du général Aziz, ils en subissent le courroux.
Vous prétendez que le président Aziz refuse à votre famille le droit de venir en Mauritanie. Les autorités ont démenti vos propos...
Je ne le prétends pas, c’est la réalité. Les Mauritaniens ont constaté avec indignation que le général Aziz utilise tous les moyens contre ses adversaires politiques, y compris celui d’empêcher une femme et ses enfants mineurs de fouler le sol de leur propre pays pour se rendre au chevet de leur grand-père malade, au seul motif que leur mari et père est son opposant.
Face à la réaction de toute la société mauritanienne - les tribus, les partis politiques, la société civile -, son ministre des Affaires étrangères a tenté maladroitement de démentir les faits devant le Parlement. Il n’a convaincu personne, la presse mauritanienne ayant apportée la preuve du refus. Ma famille et moi ne possédons plus de passeport mauritanien depuis plus de six mois, Aziz ayant donné des instructions pour empêcher leur renouvellement.
Vous êtes particulièrement sévère à propos de la politique sécuritaire du président Aziz. Ne s'est-il pas engagé à lutter fermement contre Aqmi ?
Sa politique manque totalement de discernement, de stratégie cohérente et efficace. À partir de 2008, il a commencé par se débarrasser de tous les cadres de la sécurité d'État qui avaient une parfaite connaissance du terrain et de nombreuses années d’expérience dans la lutte contre le terrorisme. Ils ont été remplacés sur des critères complaisants, népotiques, tribaux. Les Mauritaniens se surprennent à regretter la sécurité sous le président Ould Taya. À l'époque, il n'y a jamais eu de prises d'otages.
L’avenir conduira Aziz, je crois, à méditer la profondeur de l’enseignement de Sun Tzu, l’auteur de l’Art de la guerre.
Comment l’expliquez-vous ?
Les tribus du nord Mali entretenaient de très bons rapports avec nos services et nous informaient des dangers à venir. Aujourd'hui, elles informent Aqmi de l'arrivée des troupes mauritaniennes qui se conduisent sur le terrain comme une armée d'occupation. Les résultats de la guerre d'Aziz ne connaissent pas de concrétisation. Au contraire, Aqmi parvient régulièrement à identifier nos agents des services de renseignement. Une fois identifiés, ils les interrogent avant de les exécuter.
Aqmi a infiltré tout l'appareil sécuritaire et s’informe désormais de l’intérieur. Jamais nos services n’ont identifié un infiltré ennemi. C’est très grave. La première des sécurités d'un État réside dans des services de renseignements fiables et efficaces. Aziz n’a apparemment pas lu Sun Tzu pour qui « l'art de la guerre est d'une importance vitale pour l'État ». Ce général chinois du VIe siècle avant Jésus Christ énonce le principe élémentaire de l’adversité dans l’Art de la guerre : « Le stratège attire l’ennemi, il ne se fait pas attirer par lui ». L’avenir conduira Aziz, je crois, à méditer la profondeur de cet enseignement.
Il a pourtant le soutien des grandes puissances comme la France et les États-Unis...
Avec des services de renseignement aussi désorganisés, il ne parviendra jamais à aucun résultat significatif malgré tous les soutiens dont il peut bénéficier. Les grandes puissances appuient depuis de nombreuses années le Pakistan sans parvenir à lutter efficacement contre le terrorisme. Tous les spécialistes s’accordent à dire que cet échec découle principalement de la faiblesse et du manque de fiabilité des services de renseignements pakistanais. Quel bilan de sa guerre peut-il brandir aujourd'hui ? Il expose les Mauritaniens comme à Adel Bagrou, où un gendarme a été récemment pris en otage à plus de 1 700 km au sud-est de la capitale Nouakchott. L’armée avait pourtant paradé dans la capitale en novembre dernier. Un mois plus tard, les hommes d'Aqmi sont pourtant entrés avec un seul véhicule à Adel Bagrou…
Est-ce vrai que votre opposition au président Aziz vous a éloigné de feu Moummar Kaddafi ?
C'est exact. Il y avait déjà eu un froid lorsque le président Compaoré s'était rendu en Israël en mai 2008. Le « Guide » était très mécontent. Il s'est rendu en Mauritanie en février 2009 et a obtenu d'Aziz la rupture des relations diplomatiques avec l'État hébreu contre un soutien sans limite et son aide pour rallier les opposants. Le « Guide » m'a envoyé des émissaires pour me convaincre de reprendre les discussions avec Aziz. Ce que j'ai refusé.
Vous affirmez que le président Aziz a voulu vous corrompre en vous proposant de l'argent et des postes. Quelles sont vos preuves ?
Il a commencé par envoyer un député et un ministre mauritanien à Ouagadougou pour me faire des propositions financières et me proposer divers postes. D'autres propositions ont suivies. La dernière en date remonte à quelques semaines. Des hommes d’affaires proches de lui sont venus me voir à l’hôtel Sofitel de Rabat. À chaque fois, j'ai refusé car je suis un homme de principe et me bat uniquement pour défendre mes convictions, quoiqu’il m’en coûte. Au moment opportun, mes avocats vous donneront plus de détails.
Vous voulez porter plainte contre lui. Devant quelle juridiction ?
Cette plainte contre Aziz concerne le mandat d'arrêt et la diffamation dont je suis victime. Il n'a pas la moindre once de preuve de ce qu'il a avance. À l'heure du Printemps arabe, les dirigeants africains doivent bien comprendre qu'ils ne peuvent plus intimider les citoyens et les opposants politiques. Je rassemble actuellement un collectif d'avocats qui vont décider de la stratégie à adopter. Mes conseils décideront de la juridiction compétente dans les prochains jours. Bien évidemment, nous comptons actionner d’autres leviers pour dissuader le pouvoir mauritanien de répéter ce genre d’abus et protéger mes compatriotes de l’opposition, désormais exposés.
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Propos recueillis par Pascal Airault
 

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